“Je vais devoir choisir entre manger et m’habiller” : la colère gronde
Sur TikTok, Instagram ou Facebook, les hashtags #SheinGate, #StopLaTaxe et #ModePourTous explosent depuis quelques semaines. En cause : une proposition de loi anti fast fashion votée en mai à l’Assemblée nationale et encore renforcée par le Sénat.
Et pour beaucoup, la coupe est pleine. “C’est encore les pauvres qu’on fait payer !”, s’insurge Sarah, 24 ans, étudiante à Lyon, dans une vidéo devenue virale. Elle explique qu’elle achète “quasiment tous ses vêtements sur Shein, car c’est ce qu’il y a de plus abordable”. “Un jean à 9 €, un top à 2,50 €, ça me permet de m’habiller sans culpabiliser. Maintenant on veut me faire croire que c’est mal ?”
Sa vidéo a été likée plus de 70 000 fois. Et elle n’est pas seule.
Que dit la loi exactement ?
La loi en question, portée par des députés de plusieurs bords, entend lutter contre la surproduction textile et les vêtements jetables. Le texte vise les plateformes qui vendent des vêtements à bas prix et en très grandes quantités – autrement dit, Shein, Temu, mais aussi des marchands actifs sur Vinted ou Amazon.
Les mesures prévues :
- Une écocontribution pouvant aller jusqu’à 10 € par article, selon son impact écologique ;
- L’interdiction de faire de la pub pour ces marques en France ;
- Un plafonnement des réductions : les vêtements ultra-discount ne pourront plus être vendus à moins de 50 % du prix moyen du marché.
Résultat : un t-shirt à 2 € pourrait bientôt coûter 4 ou 5 €, un manteau à 15 € grimper à 25 €, voire plus. Et la majorité des hausses devraient arriver dès l’automne 2025, le temps que la loi entre pleinement en vigueur.
Les plateformes en ligne dans le viseur
Dans le texte parlementaire, le mot “Shein” n’est pas prononcé, mais tout le monde pense à elle. La plateforme chinoise, très populaire chez les 15-35 ans, propose des dizaines de milliers d’articles, renouvelés chaque jour, souvent à moins de 5 € pièce.
Temu, autre géant venu de Chine, est aussi dans le collimateur. Depuis son arrivée en France en 2023, il a séduit des millions de clientes avec des prix ultra cassés – des robes à 6 €, des chaussures à 9 €, des sacs à main à 4 €.
Même Vinted, pourtant basée en Europe, est indirectement concernée : certains “méga-vendeurs” y écoulent du neuf à prix dérisoire, souvent importé.
“Je n’achèterai plus rien” : les réactions pleuvent sur les réseaux
Depuis l’annonce du projet de loi, les commentaires se multiplient :
- “C’est toujours nous qu’on tape. Les riches achètent du made in France, nous on a Shein, c’est tout.”
- “Ce ne sont pas les jeunes qui polluent le plus, pourquoi c’est à nous de payer ?”
- “On veut nous imposer des vêtements à 80 € pièce, mais moi j’ai trois enfants, c’est pas possible.”
Sur Facebook, de nombreux groupes de bons plans et de friperies dénoncent une “taxe déguisée contre les pauvres”. Une pétition a même été lancée pour “protéger l’accès aux vêtements pour toutes les classes sociales”. Elle dépasse déjà les 120 000 signatures.
L’argument écolo ne convainc pas tout le monde
Les défenseurs de la loi affirment qu’il s’agit de “lutter contre un désastre écologique”. L’industrie textile représente 8 à 10 % des émissions de CO2 mondiales, soit plus que les vols internationaux. Et les vêtements ultra low-cost finissent souvent à la poubelle ou incinérés après quelques utilisations.
Mais sur le terrain, cet argument passe mal.
“Je garde mes vêtements Shein pendant des années, et je les donne à mes sœurs ensuite”, explique Amina, 28 ans, aide-soignante en banlieue parisienne. “Ce n’est pas Shein le problème, c’est notre société de consommation. On fait porter la responsabilité aux petits.”
Combien ça va vraiment coûter ?
Difficile à dire précisément, car tout dépendra du barème d’écocontribution adopté par décret. Mais selon les estimations du gouvernement :
- Les vêtements à très bas prix devraient subir une hausse de 30 à 50 % en moyenne ;
- Les marques “intermédiaires” (Zara, H&M…) pourraient être touchées plus légèrement ;
- Les vêtements haut de gamme et éco-conçus ne seront pas du tout concernés.
Un article à 5 € aujourd’hui pourrait donc coûter 7 ou 8 € demain. Multipliez cela par une commande de 10 ou 15 pièces, et la note grimpe vite.
Une menace pour le pouvoir d’achat
En période d’inflation, la mesure arrive mal. “L’habillement est devenu un luxe pour beaucoup de familles”, résume une enquête du Credoc parue en avril. En 2024, 1 Français sur 3 déclare avoir dû réduire ses achats de vêtements.
Et pour certains, Shein est la seule solution pour rester à la mode sans se ruiner. D’autant que la fast fashion, malgré ses défauts, a démocratisé l’accès à la tendance.
“C’est grâce à Shein que je peux porter les mêmes looks que les influenceuses”, confie Léa, 19 ans, lycéenne à Lille. “Je comprends l’écologie, mais à 500 € le jean éthique, c’est hors de question.”
Des alternatives ? Pas si simples…
Les partisans de la loi mettent en avant les friperies, la seconde main, les vêtements “made in France” ou les abonnements de location.
Mais en réalité :
- Les friperies en ligne comme Imparfaite ou CrushOn restent plus chères que Shein ;
- Le “made in France” reste minoritaire, et inaccessible à beaucoup ;
- La location ou l’abonnement ne séduit qu’une poignée d’urbaines CSP+.
Bref, le marché ne propose pas encore d’alternatives convaincantes à la fast fashion… pour celles qui ont un petit budget.
Une loi anti-Shein… ou anti-pouvoir d’achat ?
Derrière les bonnes intentions environnementales, beaucoup voient une loi injuste. Pas sur le fond, mais sur la forme.
“On tape sur les vêtements à 3 € mais on laisse les SUV rouler sans taxe, on marche sur la tête”, écrit une internaute sur X. Une autre renchérit : “Ce n’est pas la fast fashion qui m’énerve, c’est la fast hypocrisie.”
Une mesure qui divise profondément
Cette loi est sans doute un tournant pour l’industrie textile. Mais pour l’instant, ce sont surtout les consommatrices qui la ressentent comme une punition. Sur les réseaux sociaux, la colère ne faiblit pas. Et dans les semaines qui viennent, les prix risquent bel et bien d’exploser.
À l’approche de la rentrée, une chose est sûre : l’époque des paniers à 30 € pour 12 articles touche à sa fin.
Et pour beaucoup, la mode à petit prix était une liberté. Une liberté qu’on est en train de leur retirer.